Benoit Charlet 0486/84 16 76 | |
Quelle serait l'économie de demain ?
La crise financière actuelle (crise des subprimes, crise des budgets) met en avant les soubresauts d’une économie sur le déclin qui laisse lentement la place à un nouveau paradigme dont le but est de corriger les problèmes de l’ancienne économie. A quoi pourrait ressembler cette économie en devenir, c’est ce à quoi je vais tenter de répondre avec l’aide du travail de Maurizio Pallante et de Tim Jackson1.
Réflexions
Le propre d’une économie est de répondre aux besoins que ses acteurs ne peuvent pas combler par auto-production en favorisant les échanges de biens et de services. Ces échanges créent à leur tour des liens sociaux garantisssant une cohésion de la société.
L’introduction de la monnaie a révolutionné notre économie en nous affranchissant du troc, en convertissant les biens en valeur monétaire. Cela nous a évité de nous promener avec notre sac de sel pour pouvoir nous payer ce dont nous avons besoin. ;-) Merci pour mon dos. Mais cette monétisation est à l’origine d’un malentendu. En effet, la conversion de biens en argent nous a coupés du lien avec ce bien même nous faisant perdre de vue du même coup le sens de combler nos besoins pour vivre confortablement.
Ajoutons que nous avons une propension à faire des réserves pour pouvoir passer les coups durs au mieux (comportement inconscient de survie), ce qui se traduit, à cause de la monétisation des biens, par accroissement de la quantité d’argent que l’on possède.
Au début de l’ère industrielle, il semblait que les ressources étaient illimitées. En effet, à cette époque, les réserves de matières premières semblaient inépuisables face à la capacité de production balbutiante.
Résultat, nous vivons dans un modèle du monde où il nous semble que les ressources sont illimitées, que nous devons accroître notre masse monétaire pour pouvoir (sur)vivre étant donné que nous avons perdu le lien avec nos besoins réels du fait de leur monétisation.
Toujours plus de croissance
Cette manière de voir le monde nous a conduit à une recherche effrénée de “toujours plus d’argent”.
Afin de garantir cette croissance continue, la notion de marchandisation a été introduite. Celle-ci a pour but de remplacer le plus vite possible des marchandises par d’autres afin de maintenir cette croissance et donc de générer de plus en plus d’argent. L’obsolescence programmée et la publicité qui nous poussent à nous débarrasser de ce qu’on possède – qui est “obsolète” – pour le remplacer par du neuf – qui est forcément “mieux” – sont les moyens majeurs de cette croissance. La valeur du neuf n’est rien d’autre que ce qui permet aux producteurs et aux intermédiaires de faire du chiffre.
Cependant, la croissance infinie n’est pas possible. Tôt ou tard, le monde économique se heurtera aux limites écologiques de la planète. La consommation à outrance n’a pas d’avenir sur une planète aux ressources limitées.
Notons d’ailleurs que la croissance n’est pas toujours synonyme de prospérité (bien-être) pour les gens. En effet, si un peu de croissance économique donne un mieux-être dans les pays en développement où une amélioration des revenus est corrélée à l’amélioration de l’espérance de vie, cette même croissance n’améliore pas la condition des plus pauvres dans les pays occidentaux.
Société de consommation
Ainsi est née la société de consommation afin de maintenir cette croissance, en introduisant une course perpétuelle aux biens (marchandises) qui donnent un statut social “enviable”. Certains biens (marchandises) ont en effet été conçus pour donner un “statut social” sans réellement satisfaire de besoin.
La publicité est le vecteur principal de la société de consommation et les supermarchés qui exploitent leur personnel, qui encouragent le productivisme en amont et le gaspillage en aval en sont les acteurs privilégiés.
A noter que la consommation des ménages constitue une des mesures les plus utilisées pour évaluer le niveau de santé économique d’un pays.
Des biens plutôt que des marchandises
Qu’est-ce qu’un bien par rapport à une marchandise ? Le bien est l’objet ou le service qui répond à un besoin, alors que la marchandise est l’objet ou le service qu’on achète. Par exemple, si une maison consomme vingt litres d’équivalent pétrole par mètre carré, au lieu de sept litres dans une maison bien isolée, les treize litres qui sont achetés sont une marchandise, et pas un bien parce qu’ils ne correspondent pas à un besoin réel. Dans les pays occidentaux, nous achetons tout ce dont nous avons besoin et nous avons, par conséquent, tendance à confondre les deux concepts.
La monétisation des biens est à l’origine d’un malentendu. En effet, l’interchangeabilité entre monnaies et biens a conduit les gens, par facilité, à mesurer les biens par leur équivalent en argent. La mesure de la richesse par le PIB en est très bon exemple. Le produit intérieur brut (PIB) est un indicateur économique utilisé pour mesurer la production dans un pays donné. On peut le résumer par “au plus je possède d’argent, au plus je suis riche”. La société de consommation qui nous oblige à consommer de plus en plus et fait croître le PIB, nous fait croire que nous devenons de plus en plus riches. On peut se poser la question de la pertinence de la mesure du produit intérieur brut, qui évalue la création de richesse car il donne une idée de la production, sans prendre en compte les destructions. En effet, produire peut engendrer une destruction de notre environnement (pollution), une perte de la qualité de vie (stress). Du point de vue de la croissance du PIB, on a clairement intérêt à fabriquer des produits de moindre qualité puisqu’il augmente la masse monétaire échangée. Cependant, les autres dimensions de notre système (environnement, bien-être …) sont mises à mal.
Comme au Bhoutan, nous devrions élargir la mesure à d’autres dimensions afin de rendre compte plus justement de la réalité et mesurer le bonheur national brut (BNB) qui comprend la dimension économique, mais aussi culturelle, environnementale et la gouvernance. Tim Jackson propose pour les pays occidentaux de joindre à la mesure économique (par le PIB) une dimension carbone et une dimension mesurant le bien-être humain.
Un changement de mode de vie s’impose
L’épuisement programmé des ressources est sans solution ! Il est donc nécessaire de rendre le système économique plus juste et plus soutenable.
Il faut supprimer la société de consommation, cette course perpétuelle aux biens qui donnent un statut social enviable. Mais pour le supprimer, nous devons changer le système de valeurs de nos sociétés et aller vers des valeurs qui créent du lien et non de l’exclusion. Cela implique un changement de vie. D’après Tim Jackson, nous devrions nous tourner vers la prospérité qu’il définit comme une recherche du bien-être humain.
Dans cette prospérité, il faut également entendre la “capabilité” des personnes, c’est-à-dire que l’économie doit rendre l’être humain capable de s’épanouir, de prendre sa place dans la société. La “capabilité” est une valeur spirituelle, mais aussi matérielle. On a besoin de manger pour s’épanouir. En effet, disposer d’une base matérielle est nécessaire à la qualité de la vie. Mais les gens ne s’épanouiront pas si leur vie n’a pas de sens, s’ils ne participent pas à la vie de la société. Participation dans l’engagement associatif, dans le bénévolat. Ce qui demande évidemment du temps libre. Cette “capabilité”, c’est également permettre aux gens d’autoproduire une partie des biens nécessaires à leurs besoins.
Ce changement de mode de vie implique :
- la sobriété.
- la construction des économies fondées sur le don et la réciprocité.
- un espace pour l’échange mercantile.
Car il s’agit de s’épanouir dans les limites écologiques de la planète.
Le bonheur ne se trouve pas dans l’accumulation de biens, mais dans la diversité des relations sociales.
Elle remplacera la frénésie de consommation par le lien social.
Démarchandisation et recherche du bien-être
Dans un monde fini avec des ressources finies, la première démarche logique est une réduction des gaspillages, une durée de vie accrue des biens et une recherche de l’efficacité énergétique. Autrement dit, la diminution de la consommation d’objets et de services qui ne sont pas des biens. Au contraire de “la société de consommation” qui prime de nos jours !
La culture de la nouvelle économie est opposée au productivisme ; elle donne une nouvelle valeur aux choses, à leur respect et à leur conservation. Elle est basée sur une démarchandisation des biens et se concentre sur la satisfaction des besoins. Un retour à la mission première des pionners de l’industrie, des producteurs du début de l’ère industrielle, c’est-à-dire combler les besoins primaires.
Cette conception des choses a un corollaire inévitable qui est l’augmentation des biens qui ne sont pas des marchandises : c’est à dire, autoproduction de biens de consommation, autoconstruction, services aux personnes uniquement par amour et par désintéressement.
Ainsi naîtront des projets locaux qui poursuivent des buts sociaux et environnementaux, centrés sur l’épanouissement des individus ; des groupes d’achats solidaires qui soutiennent les paysans locaux et testeront de nouvelles relations entre entreprises et consommateurs ; des nouvelles formes d’activités économiques qui cherchent à maintenir l’emploi au niveau local ; d’autres manières de faire comme des jardins partagés, des services d’échanges locaux.
Cependant pour ne pas perdre l’avantage de la facilité d’utilisation de la monnaie, des monnaies alternatives verront le jour. Et si l’on regarde un peu attentivement autour de nous, différentes monnaies alternatives font de plus en plus parties du paysage économique confirmant cette tendance à un changement de paradigme.
Par quoi pourrait-on remplacer la croissance ?
Tim Jackson propose de substituer la prospérité à la croissance, de privilégier les services aux personnes par rapport aux biens matériels.
La production engendre du travail et celui-ci reste la meilleure manière d’intégrer les individus à la société. Pour remplacer la croissance, nous devrions nous tourner vers la prospérité, vers une économie qui offre des emplois et des biens centrés sur le bien-être des citoyens.
Cela donnerait de nouveau un sens au système alors qu’actuellement, énormément de personnes perdent leurs repères, c’est-à-dire le sens ! L’économie (re)deviendrait alors une économie sociale et solidaire.
Repenser le travail
La croissance ne crée pas d’emploi ! Parce que, dans une économie où la croissance est la seule finalité, les entreprises doivent absolument baisser les coûts de production, c’est-à-dire utiliser des machines de plus en plus performantes afin d’augmenter la productivité ou délocaliser pour réduire les coûts salariaux. Donc, le PIB croît en même temps que le taux d’emploi et le revenu des gens diminuent ! Le mécanisme de la croissance fait augmenter l’offre de marchandises en même temps qu’il fait chuter la demande puisque les revenus se tassent.
De nos jours, le travail, c’est l’emploi, exactement comme le bien, c’est la marchandise. Le travail se résume donc à la production de marchandises. Il permet d’avoir de l’argent et cet argent ouvre les portes des magasins où l’on va pour acheter des marchandises. Le lien entre le travail et son sens a été brisé et de nos jours nous travaillons sans savoir pour quoi, comme nous achetons sans savoir pourquoi.
Faire des choses pour soi-même ou pour ses proches n’est jamais considéré comme un travail.
La fonction première du travail est de nous permettre de gagner de l’argent afin d’assouvir nos besoins primaires que sont se nourrir, se loger … Mais il y a bien d’autres manières de satisfaire ces besoins. Par exemple, en autoproduisant ses aliments, c’est se donner la certitude de manger plus sainement ; en autoconstruisant sa propre maison, c’est se donner l’assurance de conditions de vie meilleures…
Les ressources limitées nous forceront à consommer moins donc on passera moins notre temps libre à faire du shopping. Et en diminuant nos besoins, nous aurons moins besoin d’argent, donc nous travaillerons moins.
Depuis le 20e siècle, le temps de travail s’est réduit considérablement et graduellement et cela va continuer, laissant du temps libre aux travailleurs. La gestion du temps libre devient donc centrale. Au 21e siècle, le temps libre continuera de s’accroître car il faudra partager le travail qui est la première manière de participer à la société.
D’autre part, la productivité d’emplois dans les services aux personnes, comme les soins médicaux, ne peut pas croître indéfiniment, puisque la valeur de ces emplois est précisément liée au temps qu’on y consacre. Il faut donc augmenter la productivité des travaux ennuyeux et faire basculer une partie du travail vers les services aux personnes.
Le travail devra être complétement repensé pour pouvoir gérer le temps partiel consacré au travail et le temps libre que nous pourrions consacrer au bénévolat.
Il faudra aussi revoir les rapports de force dans le travail. La forme “patron qui dicte ses conditions” est révolue. Le mode de fonctionnement ira de plus en plus vers un partenariat, vers une plus grande coopération.
Il est fort probable qu’à l’avenir on parle de plus en plus de micros et petites sociétés qui au gré des réalisations s’assembleront en partenariat pour former une société virtuelle le temps d’un projet.
Nouvelles technologies
Une telle vision des choses suppose qu’on agisse sur deux axes très importants qui ne peuvent pas aller l’un sans l’autre : le mode de vie et la technologie.
Les technologies devront permettre de limiter la consommation d’énergie et de matières premières, ainsi que la production de déchets. Elles seront centrées sur une efficacité énergétique, une efficacité à utiliser les ressources de façon optimale.
La première démarche, en matière d’énergie, doit donc toujours être orientée vers une réduction des gaspillages, vers l’efficacité énergétique. Sans elle, les énergies renouvelables ne pourront pas jouer pleinement leur rôle.Les déchets devraient être perçus comme des matières premières et non comme des déchets. Nombreux sont, en effet, les objets et les matières qui peuvent être recyclés à la fin de leur vie et dont on doit pouvoir récupérer les composants grâce à des techniques industrielles. En systématisant de telles technologies, on pourrait créer ce que les économistes appellent un “effet rebond”.
La technologie devra donner plus de liberté aux personnes en leur rendant leurs capacités à s’auto-gérer, la capacité d’auto-production. Par exemple, la micro-cogénération qui permet à chaque citoyen d’autoproduire l’énergie et la chaleur qu’il consomme, le libérant ainsi de l’emprise des grandes multinationales.Le recyclage et la création de nouvelles technologies plus efficientes permettra de créer de l’emploi dans les pays occidentaux.
Repenser le système financier
La finance n’est en soi ni bonne ni mauvaise. C’est un outil. Tout dépend de l’usage que l’on en fait. La question est de savoir si l’on investit à long terme dans des sociétés de production attachées à leur outil et porteuses de sens dans une économie solidaire ou si l’on spécule à très court terme sur des variations de cours en mettant à mal la solidarité.
La société de consommation est centrée sur la production de marchandises qui dégage des capitaux qui sont à leur tour investis pour améliorer la production, qui alimente la consommation et dégage des nouveaux capitaux, en un cycle infini. Ce système est basé sur la théorie du monétarisme qui dit que, pour étendre l’activité, il faut élargir le secteur financier qui met de l’argent à la disposition des consommateurs. Ceci introduit une expansion de la dette à des couches de la population fragilisées qui ne sont pas en mesure de rembourser leurs dettes.
Les capitaux devraient être orientés vers d’autres destinations que la consommation, les services ou les économies d’énergie.
Les circuits courts en alimentation cherchent à maintenir une agriculture et des emplois de proximité. De même, on pourrait privilégier les finances en circuits courts qui maintiennent le contact direct entre le coopérateur et une entreprise dont il connaît et soutient les activités et les finalités sociales.
Bien sûr, le coopérateur renonce à une partie du rendement de son capital, mais il soutient des activités qui favorisent une plus grande cohésion sociale et donne un sens sociétal à son investissement.
Conclusion
Notre économie est basée sur le concept de ressources illimitées. Cependant, ce concept est mis à mal lorsqu’on se rend compte que notre terre est une sphère et est donc elle-même limitée. Il nous faut donc aller vers plus d’égalité et de ‘soutenabilité’.
Cela passera par la création d’un indice complémentaire au PIB qui prend en compte une vue plus large de la réalité en mesurant le bien-être social et l’impact sur l’environnement.
Cette économie sera basée sur la prospérité qui apporte du bien-être aux individus, crée du lien et dispense des soins. La prospérité donne également du sens à la vie. Tout le contraire d’une course aveugle à la consommation.
Autour de nous, nous voyons déjà les prémisses de cette nouvelle économie : simplicité volontaire (n’acheter que ce qui est nécessaire), diminution des activités professionnelles pour gagner du temps et créer du lien, nouvelles monnaies basées sur le don de temps.
Par contre, au niveau technologique, tout est à faire pour rendre celle-ci plus efficace, moins énergivore, pour réduire les déchets au strict minimum, pour recycler au maximum.
Trouver des alternatives prendra du temps. Il n’existe pas de solutions toutes faites. Il faut les inventer. C’est ainsi que l’on construira un nouveau modèle.
Référence
“La décroissance heureuse” de
(Maurizio Pallante, La decrescita felice, Editori Riuniti, 2005; http://decrescitafelice.it/).“Prospérité sans croissance” de
.Les auteurs
- Maurizio Pallante
- Ancien professeur, Né à Rome en 1947, Maurizio Pallente est consultant en efficacité énergétique au Ministère italien de l’Environnement et de la Protection du Territoire et de la Mer.
- Tim Jackson
- Économiste anglais, Tim Jackson est professeur de développement durable au « Centre for Environmental strategy » (CES) à l’Université du Surrey. Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, les systèmes énergétiques durables, l’économie écologique, la philosophie de l’environnement et la psychologie sociale du consommateur.
Glossaire
- PIB
- Le Produit Intérieur Brut (PIB) est défini comme la valeur totale de la production de richesses (valeur des biens (marchandises)) et services créés moins les valeurs des biens (marchandises) et services détruits ou transformés durant le processus de production dans un pays donné.